Dans les coulisses du Printemps Haussmann

Depuis le 22 septembre 2021, Cultival, agence parisienne de visites insolites, propose de partir à la découverte des coulisses du Printemps Haussmann. Un voyage dans le temps, des souterrains labyrinthiques jusqu’au dôme et sa majestueuse coupole, des terrasses panoramiques aux escaliers Art Déco en passant par les grilles en fer forgé de 1910 cachées dans les sous-sols, et récemment rénovées. Une visite passionnante truffée d’anecdotes qui vous plonge dans le Paris des Grands Magasins de la Belle Epoque du Bonheur des Dames, d’Emile Zola.

©Printemps Haussmann : La majestueuse Coupole Charras, chef d’œuvre Art Déco.

L’envers du décor. Voilà ce que vous propose Cultival, agence parisienne spécialisée dans les visites culturelles inédites, proposant de visiter autrement des lieux habituellement fermés au public. Cette fois-ci, Cultival nous emmène au grand magasin Printemps du boulevard Haussmann, non pas pour y faire du shopping, mais pour en explorer les coulisses, l’occasion aussi d’apprendre sa passionnante histoire. Suivez le guide !

©Printemps Haussmann – Panorama sur les toits de Paris depuis la terrasse du 8ème étage. Au premier plan, la girouette surmontée par le caducée d’Hermès, le dieu du commerce.

Pour bien comprendre l’histoire et la situation du Printemps Haussmann, la visite démarre sur le toit-terrasse des 7ème et 8ème étages du Printemps de l’Homme, un espace gastronomique entre marché, épicerie fine et restaurants panoramiques. Tout cela est bien alléchant, mais pour les plaisirs de la table, ce sera pour une autre fois. Le but ici est d’admirer la plupart des monuments de la capitale : un panorama unique à couper le souffle ! On se rend compte d’emblée de l’emplacement stratégique des lieux, en admirant trois monuments tout proches qui sautent aux yeux : l’opéra Garnier sur votre gauche, l’église de la Madeleine juste en face et la gare Saint-Lazare, sur votre droite. Le Printemps Haussmann est au centre de ce triangle d’or, et un passage obligé au XIXème siècle pour les bourgeois des Champs-Elysées se rendant à l’opéra. A l’époque, le centre névralgique de Paris n’est pas le triangle d’or Haussmann Opéra Madeleine, mais toujours du côté du quartier latin et de la cathédrale Notre-Dame.

En 1865, le jeune entrepreneur Jules Jaluzot a le nez creux lorsqu’il achète une parcelle en périphérie du centre de Paris sur le terrain qui accueillera le Printemps, ça lui coûte une bouchée de pain ! Le boulevard Haussmann vient tout juste d’être percé. L’opéra Garnier tout proche ne sera inauguré que dix ans plus tard, en 1875. Seule l’église de la Madeleine domine déjà ce quartier promis à un grand développement au Second Empire. En effet, le baron Haussmann, sous l’impulsion de l’empereur Napoléon III, change radicalement le visage de Paris en traçant les grandes artères reliant les grands monuments à travers la capitale. En 1890, conscient de cet emplacement de rêve, c’est au tour des Galeries Lafayette de s’installer au même endroit.

©RomainRicard- Le dôme abritant la coupole, encadré par les deux rotondes.

Après avoir admiré la vue, on remarque une girouette avec les points cardinaux (NSOE), surmontée par le caducée du dieu grec Hermès (Mercure chez les Romains). Cette baguette surmontée de deux ailes et entourée de deux serpents entrelacés est notamment le symbole du commerce… Sur le toit de l’opéra Garnier, on trouve la même girouette, sauf que le caducée laisse place à la lyre, attribut d’Apollon, dieu des arts. Pour la petite histoire, c’est un cocasse renversement des rôles car dans la mythologie grecque, c’est Hermès qui offrit sa lyre à Apollon, grand amateur de musique, qui en échange, offrit son bâton d’or, celui qui deviendra le fameux caducée d’Hermès. Rendez-vous à la terrasse panoramique des restaurants des 7ème et 8ème étages pour vous rendre compte par vous-même !

©Nicolas Pelé – La façade historique rue du Havre, avec les statues représentant les quatre saisons.

Commençons par le commencement : d’où vient ce nom de Printemps ? Par la notion de commencement justement ! C’est le renouveau, la nouveauté, le positif : « Au Printemps », le nom officiel du grand magasin à son inauguration, on trouve les produits tendance de dernière fraicheur ! Il est temps de ressortir du magasin et d’admirer la monumentale façade classée monument historique, qui ne se situe pas boulevard Haussmann, mais rue du Havre. Elle est splendide avec ses feuilles d’or, ses quatre statues, allégories des quatre saisons, et le logo du printemps. Ce dernier est écrit en superbes mosaïques, et cinq fois pour être sûr de bien imprimer auprès des passants !

C’est la cathédrale du commerce, comme la surnommait Emile Zola, bénie par l’église de la Madeleine toute proche lors de son inauguration. Même la façade évoque une cathédrale avec ses deux tours, tels deux clochers, et ses coupoles en vitraux ! Pour compléter la métaphore, l’intérieur abritait une grande nef, tandis que les trois entrées renvoient à la trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et c’est effectivement un temple du commerce, dès son inauguration à la fin du XIXème siècle, sous la protection d’Hermès, dieu grec du commerce, et la bénédiction de l’église de la Madeleine, en forme de temple grec.

©Nicolas Pelé – Aujourd’hui encore, en admirant la superbe façade inscrite au titre des Monuments Historiques, on contemple l’un des témoins les plus marquants des évolutions techniques et esthétiques qui ont transformé Paris depuis le Second Empire.

Ce n’est plus l’édifice d’origine, emporté par un incendie dû à l’éclairage au gaz en 1881. L’actuel fut reconstruit de 1882 à 1889 par l’architecte Paul Sédille, qui brilla lors des Expositions Universelles de 1878 et de 1889. A l’époque, l’actrice Augustine Figeac, la femme de Jules Jaluzot, qui s’était beaucoup investie dans ce grand magasin, fut tellement affectée qu’elle mourut de chagrin rapidement après ces tragiques événements. Pour financer la reconstruction, Jules Jaluzot eut l’idée de proposer aux futurs clients du Printemps de devenir actionnaires. A l’époque, il faut savoir que tout le monde vivait sur place, patron, vendeuses, personnel… Le gaz fut remplacé par une invention récente et moins dangereuse qui fascinait les foules : la fée électricité !

©Printemps Haussmann – Cabines électriques vers 1924 au Printemps Haussmann.

Le Printemps est le premier établissement parisien à intégrer cette nouvelle technologie, quatre ans seulement après le brevet d’Edison ! Pour ce faire, une usine électrique est installée en contrebas du magasin. On venait avant tout au Printemps pour admirer cette nouvelle invention, ainsi que les premiers ascenseurs hydrauliques à l’éclairage électrique, plutôt que pour faire du shopping… Autre innovation de l’époque, les premiers escalators ! Grâce à Cultival, on peut encore en emprunter un datant de 1930, qui mène dans les sous-sols !

En 1910, le second magasin est conçu dans le style Art Nouveau par l’architecte René Binet, qui brilla lors de l’Exposition Universelle de 1900. Beaucoup de ses éléments Art Nouveau ont malheureusement disparu, notamment les libellules en fer forgé à l’entrée. En 1910, l’édifice n’avait rien à voir avec le grand magasin compartimenté en étages d’aujourd’hui : c’était un immense hall en fer forgé (le nouveau matériau à la mode de l’époque), agrémenté de palmiers et de fleurs exotiques, de grands volumes aérés qui font défaut de nos jours. Il n’y avait pas d’étage !

©Nicolas Pelé – Escalator des années 1930 qui mène dans les profondeurs du sous-sol et ses interminables couloirs labyrinthiques.

Après le toit, descendons dans les entrailles du Printemps, place aux souterrains ! On y trouve la réserve : un véritable labyrinthe de couloirs interminables, agrémentés de noms de rues et de panneaux pour se repérer. Il y a même une rivière souterraine qui coule sous le Printemps Haussmann : la Grange-Batelière ! C’est d’ailleurs ici que fut tournée la fameuse scène de la Grande Vadrouille quand Louis de Funès, Bourvil et leurs compagnons anglais s’enfuient en barque sous l’opéra pour échapper aux Allemands. La légende du fantôme de l’opéra est vraie : il y a bien un lac souterrain sous le palais Garnier, mais on ne peut pas y naviguer, c’est une cuve artificielle remplie d’eau et uniquement accessible aux pompiers qui y effectuent des exercices ! Cet endroit mystérieux conçu comme réservoir d’eau en cas d’incendie a inspiré l’écriture du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux.

Les sous-sols du Printemps abritent aussi les ateliers de dizaines d’artisans et de techniciens, une trentaine de métiers : serruriers, plombiers, menuisiers, électriciens, chauffagistes, peintres, opérateurs et même l’atelier du maître miroitier, très important dans un grand magasin plein de miroirs comme le Printemps ! On range aussi les panneaux servant à protéger les vitrines lors des manifestations.

©Thomas Bosc _ Dans les souterrains du Printemps Haussmann : difficile de se repérer dans ce dédale de couloirs !
©Nicolas Pelé – La manivelle des grilles d’origine en fer forgé de 1910.

Regardez bien au pied de la façade. On aperçoit le haut des grilles en fer forgé d’origine qui protégeaient l’entrée jusque dans les années 1960. Et bien figurez-vous qu’elles ont été rénovées et remises au goût du jour en 2019. Une renaissance qui fut bien utile lors des manifestations des gilets jaunes et des black blocks, toujours plus violents malheureusement, mais qui se cassent les dents sur ces véritables boucliers incassables ! Ces grilles situées en sous-sol, Cultival vous y emmène, vous aurez même l’opportunité d’assister à la mise en route de l’une d’elles, comme il y a un siècle ! La manivelle d’époque, comme les grilles aux torsades faites à la main au décor végétalisé (fin XIXème siècle), sont toujours en place. Bien sûr, cela ne se fait plus à la main : c’est un petit moteur électrique qui actionne les rouages d’antan et fait fonctionner le mécanisme et le système de contrepoids (la grille pèse 1,4 tonne tout de même), le tout dure 90 secondes.

Cultival nous emmène aussi à la découverte d’un escalier d’origine, conservé dans l’une des rotondes, aujourd’hui interdit d’accès au public, et utilisé comme escalier de secours en cas d’incendie. Une merveille ornée de bouquets de fleurs en albâtre et de rambardes en fer forgé. Un effet de jeu de miroirs semble prolonger à l’infini la vision de cet escalier flottant.

©Nicolas Pelé – Entrée de l’escalier Art Déco avec ses bouquets de fleurs en albâtre.
©Printemps Haussmann – Les escaliers flottants des années 1920.
©Nicolas Pelé – jeu de miroirs prolongeant les escaliers flottants.
©Nicolas Pelé – Un endroit qui abrite en prime un mémorial en hommage aux salariés du Printemps morts pour la France durant les deux guerres mondiales.
©Nicolas Pelé – La coupole Charras sert d’écrin à la brasserie du 6ème étage du Printemps de la Femme.

Reprenons de la hauteur, cette fois-ci du côté du Printemps de la Femme. Créée en 1923 par le maître-verrier Eugène Brière, la coupole Art Déco a miraculeusement survécu. On peut l’admirer à la brasserie du 6ème étage avec ses 3 185 vitraux aux 22 nuances de couleur (jaune, vert, orange) et une prédominance du bleu. Elle représente un ciel fleuri, le thème du Printemps. Vous avez de la chance de pouvoir admirer cette coupole Charras, car figurez-vous que chacun de ses 3 185 panneaux de verre fut démonté un à un en 1939, juste avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, par peur des bombardements. Ils furent stockés dans un entrepôt de Clichy-La-Garenne dans les Hauts-de-Seine, puis tombèrent dans l’oubli. C’est le petit-fils de Brière lui-même qui restaura la coupole de son grand-père en 1973, selon les plans d’origine conservés dans l’atelier familial. Elle a été admirablement restaurée par l’Atelier du Vitrail en 2019. L’occasion de revenir sur la différence entre coupole et dôme que l’on confond souvent. Le dôme (des Invalides par exemple), en extérieur, protège la coupole (à l’intérieur).

©Nicolas Pelé – La majestueuse coupole de verre de 20 mètres de diamètre qui surplombe l’édifice à 50 mètres de hauteur.
©Nicolas Pelé – En visite avec Cultival, vous pourrez aller derrière cette verrière d’où l’on peut admirer la brasserie qu’elle surplombe au travers d’une petite trappe ! On s’aventure dans la « double peau » pour découvrir l’envers de la coupole monumentale qui couronne l’édifice.
©Nicolas Pelé – L’armature ne vous rappelle rien ? La Tour Eiffel ! Les deux édifices sont contemporains…

L’histoire du Printemps n’a désormais plus de secrets pour vous. Après le prestigieux passé, place au présent : aujourd’hui, le Printemps Haussmann, c’est 100 000 m² d’espaces dont 53 000 m² dédiés au commerce (homme, femme, enfant, beauté, maison et goût), répartis dans quatre bâtiments sur 48 niveaux et plus de 90 hectares ! Plus de 6 000 collaborateurs y travaillent et un millier de marques sont représentées ! En 2017, à l’occasion d’une grande restauration visant à rendre le Printemps plus concurrentiel, on remit au goût du jour les attributs d’origine du grand magasin : mosaïques, fleurs et thématiques du jardin, synonyme du printemps.

Ainsi, la grande coupole renversée de 27 mètres de haut qui évoque un mur d’escalade détonne par ses reflets vert, jaune, rose et ses petits triangles renvoyant aux pétales de fleurs. Également inauguré en 2017, l’espace beauté de 3 000 m² sur trois étages est l’un des plus grands de la planète. Le Printemps fut pendant longtemps la propriété du groupe français Pinault (devenu Pinault-Printemps-Redoute puis Kering). Depuis 2013, le Printemps appartient à un fonds d’investissement qatari…

©RomainRicard – Datant de 1910, la Coupole Binet à l’armature Eiffel a été édifiée en même temps que sa sœur jumelle, la Coupole Charasse, qui abrite actuellement la Brasserie du grand magasin. ici, le « ruban conducteur » de la forme du signe infini conçu par l’Atelier Laps.

La visite s’achève par la Coupole Binet et le Pont d’Argent du 7ème étage, un 7ème ciel tout juste réhabilité. La coupole Binet, à la structure Eiffel, fut détruite par un incendie en 1994. Finalement, une deuxième coupole a été inaugurée en 2019. Une structure comprenant 12 000 oiseaux en origamis argentés reliés par des fils bleus, imaginés par le designer Charles Kaisin.

Construit dans les années 1930, le Pont d’argent qui devait être éphémère (comme la tour Eiffel) relie les deux coupoles. Ses charpentes de métal et ses murs de briques tout juste réhabilités servent de cadre monumental à l’espace de 1300 m² qui accueille la plus grande surface dédiée à la mode de seconde main en France. Vous pouvez d’ailleurs y vendre vos vêtements usagés pour leur confier une deuxième vie. Autre œuvre symbolique que l’on peut désormais admirer, le « ruban conducteur » de la forme du signe infini, conçu par l’Atelier Laps. Le Pont d’Argent s’ouvre sur une terrasse, encore une, pour finir la visite comme elle a commencé. L’occasion d’admirer un autre point de vue panoramique sur les toits de la capitale et ses monuments, et de méditer sur l’étonnante histoire de ce temple du commerce !

©RomainRicard – La coupole d’origamis, imaginée par le designer Charles Kaisin.

Après la multiplication des orages (gilets jaunes, black blocks, Covid-19…), le Printemps avait plus que jamais besoin d’un renouveau ! Tarif : 14,50€/pers. 9,50€/-18 ans. Réservation sur www.cultival.fr

Publié par Nicolas Pelé

Le voyage est la passion de ma vie : chaque départ est une aventure, peu importe la destination, et chaque fois que je prends l'avion, c'est comme la première fois.

8 commentaires sur « Dans les coulisses du Printemps Haussmann »

  1. Quelle différence entre nos horribles hypermarchés et les magnifiques grands magasins du XIXème siècle où tout était prétexte à décoration ! C’est ce que nous montre ce beau reportage sur le Printemps aussi bien sur les ornementations (coupoles, escaliers etc.) que sur l’histoire de ce palais de la consommation. Qui pourrait croire que ce magasin s’étend sur 90 hectares et héberge 90 métiers ? Pourvu que Nicolas Pelé continue à nous offrir d’aussi jolis reportages !

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  2. Une visite d un magasin connu, marches souvent foulées et c est avec l œil de Nicolas que je le découvre…je vais désormais le regarder différemment….un vrai joyau.

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  3. Bravo ! Encore un très beau reportage ! Eblouissante cette coupole bleue du plus bel effet ! On se croirait devant la Rosace de Notre-Dame. Un magasin qui ressemble davantage à un monument artistique qu’à notre supermarché de quartier… Merci pour cette belle histoire qui méritait d’être contée, avec élégance comme vous savez le faire à chaque sujet.

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  4. Reportage vraiment très intéressant avec de magnifiques photos. Merci de nous faire découvrir ces lieux bien connus avec un regard différent. Merci de nous faire redécouvrir ces lieux magnifiques.

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