Laon, prononcez lent comme une tortue, est la préfecture du département de l’Aisne, en Picardie (on parle aujourd’hui officiellement des Hauts de France et en effet, c’est en haut sur la carte…). Ce n’est pas la ville la plus touristique de France, donc vous ne serez pas dérangés par la foule en visitant cette pépite, nichée au sommet d’une colline entre Saint-Quentin et Reims. Car oui, Laon est clairement l’une des plus belles villes de France, qui aurait toute sa place à l’UNESCO. Elle abrite tout simplement le plus vaste secteur sauvegardé de France. Des entrailles de sa butte aux mystérieux bœufs érigés tout en haut des cinq tours de sa cathédrale, partons à la découverte de la montagne couronnée !


7 km de remparts d’où émergent cinq tours ceinturent une colline surgissant de la plaine, telle une île au milieu d’un océan de champs et de bois, le tout visible à des kilomètres à la ronde : Laon n’a pas usurpé son surnom de montagne couronnée ! C’est le plus vaste secteur sauvegardé de France : 370 hectares d’espace protégé, 84 monuments historiques classés, et une muraille médiévale encore intacte. Sur les 18 portes et poternes du Moyen Âge, il en reste trois, et on peut toujours admirer 10 tours sur la quarantaine qui jalonnaient le mur d’enceinte à l’époque médiévale. Le tout sur une colline de plus de cent mètres d’altitude, surplombant telle une acropole la plaine picarde. Laon abrite 77 hectares de souterrains, une ville médiévale préservée et une cathédrale coiffée de cinq tours dont quatre clochers et une tour lanterne ! Mais alors pourquoi une telle merveille n’est pas classée à l’UNESCO ? Tout simplement parce qu’elle fut candidate en même temps que Provins, en 2001, et un pays ne peux pas obtenir deux sites classés la même année. Depuis, la ville n’a plus proposé sa candidature…

« J’ai quitté Laon ce matin, vieille ville avec une cathédrale qui est une autre ville dedans, une immense cathédrale qui devrait porter six tours qui n’en a que quatre. Tout est beau à Laon, les églises, les maisons, les environs, tout ». Voici une description plutôt flatteuse que l’on doit à Victor Hugo, le 1er août 1835. Près de deux siècles plus tard, on peut tenir les mêmes propos, à l’exception du nombre de tours : il y en a bien cinq (il n’a pas dû prendre en compte la tour lanterne au centre…). Notez du reste qu’il devait y en avoir sept !
Laon la miraculée ?
Laon fut au cœur des combats des deux guerres mondiales. La préfecture de l’Aisne ne se trouve qu’à une quinzaine de km du front du Chemin des Dames, ses 2 000 km de tranchées, ses villages rasés à 100% et ses 400 000 morts. Et pourtant, c’est l’unique ville du département détruite à « seulement » 50%, les autres c’est du 80% minimum ! Et cette moitié détruite correspond à la ville basse, où se trouve la gare SNCF. De 1899 à 1971, un tramway à crémaillère reliait la gare à la mairie, 1,5 km plus loin, en ville haute. Puis ce fut un funiculaire de 1986 à 2016. De nos jours, plus rien, il faut marcher ou prendre la voiture et la laisser derrière les remparts. Mais c’est bien la ville médiévale, perchée sur sa colline, qui nous intéresse ici, et ce joyau a été miraculeusement préservé. Un miracle qui s’explique de manière très rationnelle : le Chemin des Dames a tout simplement fait écran, le plateau a pris sur lui toutes les destructions, ainsi que la vallée de l’Ailette. C’est ainsi que Craonne, l’un des villages totalement rayés de la carte de la zone, n’est qu’à 15 km du plus grand secteur historique sauvegardé de France !
Laon et Lyon, quel rapport ?
Savez-vous quel est le point commun entre les villes de Laon et de Lyon ? La même origine étymologique ! Lyon et Laon s’appelaient toutes les deux Lugdunum à l’époque des Gaulois, c’est-à-dire la forteresse du dieu Lug. Autre point commun, ces deux villes ont été capitale de la France ! De 27 avant J.C. à 297 pour Lyon (oui c’était la Gaule à l’époque, mais tout de même), et donc Laon, sous les Carolingiens, de 895 à 988 et l’avènement des Capétiens (oui, c’était la Francie occidentale à l’époque, mais tout de même). Après tout, la seule différence entre les deux, c’est un a à la place d’un y…
Une forêt en plein centre-ville !
La ville médiévale de Laon est perchée sur une colline de 100 mètres de haut, dont le sous-sol est sillonné de souterrains, carrières et puits. La ville basse est tapie au pied de cette butte. Entre les deux ? La forêt en pleine ville, unique ! La cuve Saint-Vincent, comme on la surnomme, est un lieu propice à de belles promenades, sillonné de sentes et grimpettes, qu’on appelle aussi le chemin des vignes. Un nom qui ne doit rien au hasard : au Moyen Âge, il y avait des vignes ici, et pas n’importe lesquelles, puisqu’on en tirait le vin servi au couronnement des rois à la cathédrale de Reims, à moins de 50 km de Laon. Entre nous, ce devait être une infâme piquette… Bref, ce n’était pas le roi des vins, mais le vin des rois !




Les mystérieux souterrains de Laon : 40 millions d’années sous la terre

Après avoir pénétré par l’une des trois portes restantes à l’intérieur de l’enceinte fortifiée, commençons par nous rafraichir (ou nous réchauffer en cas de vague de froid) dans les mystérieux souterrains de la cité médiévale, où il fait 10°C toute l’année. Laon est construite sur un plateau calcaire, qui servit de carrière pendant tout le Moyen Âge. 77 hectares de souterrains se déploient sous vos pieds, mais seule une petite partie se visite. Descendons dans les entrailles de Laon, un labyrinthe de galeries souterraines où se tinrent durant des siècles réunions de loges maçonniques et autres cérémonies secrètes. Un voyage dans le temps de la Préhistoire à nos jours en passant par un silo à grain gallo-romain, des prisonniers templiers, les tailleurs de pierre du Moyen Âge et les casemates de Louis-Philippe !








Après avoir traversé ces quatorze galeries de tir, on rejoint le magasin à poudre qui a été reconstruit pour la Première Guerre mondiale. En effet, la poudrière initiale a explosé en 1870 car son gardien de l’époque a préféré tout faire sauter plutôt que de se rendre aux Prussiens… Bilan, 200 civils tués et certains vitraux de la cathédrale soufflés. La visite des souterrains se conclut dans cette poudrière, par le visionnage d’un film passionnant sur l’histoire de Laon, qui se confond avec celle de la France, de Jules César à Charles de Gaulle en passant par Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Philippe Auguste, Henri IV, Louis XIV et Napoléon. Tous ces grands personnages ont une histoire passionnante avec cette ville, mais il serait malheureusement long et fastidieux de raconter toutes ces anecdotes. En voici tout de même une : si Louis XIV est né à Saint-Germain-en-Laye en 1638, il aurait été conçu dans une auberge des remparts de Laon ! La ville donna même un président de la République, son maire adjoint Paul Doumer, assassiné en 1932, un an à peine après son élection…

Finalement, seuls 400 mètres de galeries sont ouverts au public, mais c’est déjà pas mal, comptez 1h30 de visite ! De temps en temps, on aperçoit des ouvertures : certes, nous sommes enterrés à près de 15 mètres sous le plancher des vaches, mais nous surplombons tout de même la plaine de près de 100 mètres, une sensation étrange !
Après la cathédrale souterraine, place à la cathédrale dans les nuages !

C’est elle qui a valu à Laon son surnom de montagne couronnée, avec ses cinq clochers couronnant la colline sur laquelle est bâtie la ville. On la repère de loin, perchée sur sa butte de 100 mètres surmontant la plaine picarde ! Une légende urbaine raconte qu’un lac souterrain se cacherait sous la cathédrale. Cette histoire vient des habitants qui fuyaient dans les souterrains sous l’Occupation. Il y avait en effet quelques sources parfois abondantes, que l’on traversait en canot, ce qui devint dans les souvenirs d’enfants un lac souterrain. Il y avait en tout cas au Moyen Âge une nappe phréatique alimentant de nombreux puits, un bien particulièrement précieux durant les sièges !

Notre-Dame de Laon, de style gothique primitif, est l’une des premières cathédrales de France, la cinquième pour être précis. La première, la plus ancienne donc, n’est autre que la basilique Saint-Denis, où sont enterrés les rois de France, édifiée en 1135. Suivent les cathédrales de Sens la même année, Noyon en 1145, Senlis en 1151 et donc Notre-Dame de Laon en 1155. Ils n’étaient pas pressés, car la construction ne s’est achevée qu’en 1235. Notez que Notre-Dame de Paris est plus tardive (1163 à 1250, ils ont mis le temps également…).
C’est en effet à la fin du XIIème siècle et au début du XIIIème siècle qu’est venu le temps des cathédrales, un siècle béni, sans guerre ni famine (ou très peu), après la fureur des Viking et la terreur de l’An Mille, mais avant la Peste Noire et la Guerre de Cent Ans du siècle suivant. Un temps propice à l’éclosion de cathédrales et d’églises : « l’Europe se couvre d’un blanc manteau d’églises », comme l’écrit joliment le moine Raoul Glaber.

Il y eut d’abord la cathédrale mérovingienne, fondée par saint Rémi, natif du coin, à l’origine de la création de l’évêché de Laon. Souvenez-vous de votre programme d’histoire de CM1 : c’est l’évêque qui a baptisé Clovis en 496 à Reims. Voilà pourquoi on dit que la France est la fille aînée de l’Eglise. Ensuite, place à la cathédrale carolingienne, consacrée le 6 septembre 800 par Charlemagne himself ! On comprend pourquoi Adolf Hitler a pris le temps en juin 1940 de visiter la cathédrale de Laon. C’est la ville de naissance de la mère de Charlemagne (la fameuse Berthe aux grands pieds), empereur du Saint Empire Romain Germanique, dont le Führer se voulait l’héritier… Puis vint le temps de la cathédrale romane, incendiée par une foule en colère le jeudi 25 avril 1112. L’architecture gothique de l’édifice actuel influença par la suite de nombreuses autres cathédrales, dont les prestigieuses Notre-Dame de Paris, Chartres, Reims et Dijon, mais aussi Lausanne en Suisse et Magdebourg en Allemagne.


On commençait toujours la construction par l’Est (en direction de Jérusalem), où se trouvaient le chœur et le maître-hôtel d’où le prêtre donnait la messe. En effet le chevet d’une église est toujours tourné vers le lever du soleil, c’est-à-dire la lumière, symbole du Christ. C’est le lieu le plus sacré, correspondant à la partie de la croix sur laquelle Jésus posa sa tête. Les messes pouvaient donc se tenir dès le début des travaux, qui duraient de nombreuses décennies ! On finissait ainsi par la façade, moins importante d’un point de vue religieux, partie la plus récente donc, et toujours orientée à l’ouest. Vous le saurez si vous êtes perdus, les églises, dont le plan reprend généralement la forme d’une croix, sont de véritables boussoles géantes !
De nos jours, quand on rentre dans un édifice religieux, on apprécie le silence des lieux, propice à la prière et au recueillement. On a du mal à le croire, mais il faut imaginer une toute autre ambiance au Moyen Âge. En effet, ce silence ne fut imposé qu’au XVIIIème siècle : avant, c’était un brouhaha indescriptible et constant, une messe étant donnée dans chaque chapelle (il y en a des dizaines dans une cathédrale), du matin au soir ! De même, l’intérieur des églises n’était pas austère comme aujourd’hui, les murs n’étaient pas immaculés, mais colorés ! Bref, le bruit et la couleur étaient la règle. La plupart avaient également un labyrinthe, qui subsiste miraculeusement à la cathédrale de Chartres.

Chaque cathédrale a sa spécificité. Chartres, ce sont ses vitraux uniques au monde et son labyrinthe, Beauvais, sa voûte de 48 mètres, la plus haute de France. Notre-Dame de Paris ? Ses spectaculaires rosaces, ses gargouilles et ses chimères. Albi ? La plus grande cathédrale de brique au monde, aux allures de château fort. Strasbourg ? Son horloge astronomique. Amiens, c’est la grandeur (la plus vaste de France), tandis que Reims, la cathédrale du sacre des rois de France, c’est son ange au sourire énigmatique. Et Laon ? Et bien ce sont ses mystérieux bœufs sculptés en haut des tours. D’ailleurs, et c’est sans équivalent, il n’y en a pas une comme à Strasbourg ni deux comme à Notre Dame de Paris, ni trois, ni quatre, mais cinq, une véritable couronne ! La cinquième tour est un puits de lumière niché au niveau de la croisée du transept, une tour-lanterne de structure carrée. Il faut savoir qu’à l’origine, il devait y avoir sept tours !

Quant aux bœufs, voici la légende : les tours de la cathédrale de Laon, ornées de statues de bœufs grandeur nature, font référence à l’attelage chargé d’apporter les matériaux nécessaires à la construction de l’édifice au sommet de la « montagne ». Alors qu’une des bêtes s’écroula de fatigue, un bœuf blanc apparu miraculeusement, permettant à l’attelage d’arriver à destination. Si les habitants de Laon aiment raconter cette histoire, en réalité, ces bœufs ont sans doute été réalisés tout simplement pour rendre hommage aux bêtes qui ont amené les matériaux jusqu’au chantier.





A Laon, ce n’est pas compliqué, chaque édifice est historique. Le palais de justice ? C’est l’ancien palais de l’évêque. L’hôtel de ville ? L’ancien château ! Le centre des Impôts ? Vous êtes dans l’ancienne garnison militaire au-dessus des souterrains… Cet ensemble résidentiel regroupant plusieurs habitations ? Une ancienne église ! Le musée Archéologique ? C’est l’ancienne commanderie des Templiers. Quant à l’office de tourisme, il prend ses quartiers dans l’hôtel Dieu construit au XIIème siècle, le plus ancien de France. Et tout est comme ça à Laon…




On mange où ?
L’Estaminet Saint-Jean, un restaurant traditionnel dans la ville haute


Voyage à travers l’histoire de France à Marle
A seulement 25 km de Laon, en direction de la Belgique, faites donc un saut à Marle. Chaque année depuis 2001, le musée des Temps Barbares accueille en juin un festival d’histoire vivante au rayonnement international. Les participants viennent d’une douzaine de pays, des Etats-Unis jusqu’à la Nouvelle-Zelande ! L’occasion d’assister à 2 000 ans d’histoire de France, des Celtes à 1944. Tout a commencé dans les années 1980 par la découverte d’un cimetière mérovingien des VIème et VIIème siècle sur le terrain d’un agriculteur de Marle. Un parc archéologique fut créé sur place après plusieurs années de fouilles, suivit de l’inauguration en 1991 du musée des Temps Barbares, consacré à la période mérovingienne.


Au programme de ces festivités auxquelles participent près de 1 200 bénévoles passionnés d’histoire, reconstitutions historiques, combats avec l’armée romaine, tournois et autres joutes à cheval… Antiquité, époque médiévale, Révolution Française, soldats de Napoléon, Première et Deuxième Guerre Mondiale, c’est un véritable voyage dans le temps qui vous attend !









Un officier nous raconte le mythique épisode de Koufra, comme si on y était. Le 2 mars 1941, le colonel Philippe de Hauteclocque (38 ans), le même qui libéra Paris en tant que général Leclerc en août 1944, enlève aux Italiens l’oasis de Koufra, au sud de la Libye. Un exploit car non seulement Leclerc et ses hommes étaient en infériorité numérique, mais ils ne disposaient que d’un seul canon. Le futur libérateur de Paris triompha par la ruse. Ses hommes déplacèrent le canon toute la nuit autour du fort, et tirèrent régulièrement. Les Italiens croyaient être encerclés par de nombreux canons. Le coup de bluff marcha et les Italiens se rendirent, réalisant alors le subterfuge. A l’issue de cet exploit, Leclerc fait le serment de ne plus déposer les armes avant que le drapeau français ne flotte sur la cathédrale de Strasbourg. Un serment qu’il honorera avec brio !


De nouvelles trouvailles dans l’Aisne. On s’aperçoit qu’on ne sait rien sur cette partie de la France mais grâce ces reportages si vivants on a envie d’y aller voir de plus près !
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Grâce à l’humour, la délicatesse, la culture et la précision de Nicolas, nous voici embarqués pour un voyage à travers l’Histoire sans pour autant partir au bout de monde! On tremblerait presque en s’enfonçant dans les galeries souterraines, on n’envierait quasiment plus les beaux costumes portés lors des événements importants touchant la Reine Elisabeth et maintenant le roi Charles III en regardant les photos des reconstitutions historiques, on se régale d’anecdotes. Merci, Nicolas, pour ce récit exaltant qui invite à la découverte de notre beau pays.
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Bonjour, Nicolas,
GRAND MERCI, pour ton voyage réel dans le passé, impressionnant, bouleversant, clair et bien expliqué, merci aussi pour les photos accompagnées cet article, !!!!
Tu nous donnes envie d’aller voir et se plonger dans ce monde, bien clair bien expliqué et plein d’humour.. 😀⛪⛪, bon courage à la prochaine publication… BRAVO
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