Intégrée au réseau express régional d’Ile-de-France (RER) en 1977, la ligne de Sceaux est l’une des premières lignes de chemin de fer de la planète, inaugurée en 1846 ! A l’origine, elle reliait l’embarcadère d’Enfer, sur l’actuelle place Denfert-Rochereau, à la commune de Sceaux, d’où son nom. Cette voie ferrée où circulaient des trains à vapeur jusqu’aux années 1930 était exploitée par une société privée, la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (PO). J’ai suivi cette ligne historique de la banlieue sud de Paris, jalonnée de curiosités, de son point de départ parisien jusqu’à Sceaux, soit 10,5 km, traversant successivement le parc Montsouris, la Cité Universitaire, Gentilly, Laplace, Arcueil-Cachan, Bagneux, Bourg-La Reine, Sceaux, Fontenay-aux-Roses et Robinson. Que de découvertes le long de ce trajet bien connu des usagers du RER B !
Le périple commence place Denfert-Rochereau. Lors de l’inauguration de la ligne de Sceaux en 1846, cette place n’existe pas, et nous ne sommes pas à Paris, mais sur la commune de Montrouge, dont les trois quarts furent annexés par la capitale en 1860. C’est ici que se tient la barrière d’Enfer, l’un des points de la perception des taxes sur les marchandises entrant dans Paris. Vous pensez connaître la raison du nom de la place ? Perdu ! Rien à voir avec la barrière d’Enfer, c’est un pur hasard, car c’est le colonel Aristide Denfert-Rochereau, héros du siège de Belfort contre les Prussiens en 1870, qui a donné son nom à cette place ! Au centre trône le fameux Lion de Belfort, réplique, réduite au tiers de sa taille initiale, du Lion de Belfort de la ville éponyme, dans le territoire éponyme.
A cet emplacement se trouvait le mur d’enceinte des Fermiers généraux, haut de 3 mètres, qui faisait le tour de Paris sur 24 km. Le parcours des lignes du métro allant de Charles de Gaulle-Etoile à Nation (la ligne 2 par le nord) et la ligne 6 (par le sud), suit à peu près le tracé du mur, détruit en 1860. Deux pavillons, construits en 1787 par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, ont survécu à cette destruction : le n°3, qui n’est autre que l’entrée des Catacombes de Paris, et le n°4, qui abrite désormais le musée de la Libération de Paris – musée du Général-Leclerc-musée Jean-Moulin. C’est dans ses souterrains que le colonel Henri Rol Tanguy dirigea l’insurrection parisienne à partir du 19 août 1944.
La locomotive et les voitures qui partaient de l’embarcadère de la Barrière d’Enfer (aujourd’hui gare Denfert-Rochereau) circulaient à un train d’enfer, permettant aux Parisiens d’effectuer un saut à Sceaux en seulement 30 minutes. Sceaux est ainsi l’une des premières villes de France à bénéficier du chemin de fer. De l’embarcadère d’Enfert à l’enfer du RER B actuel, c’était une autre époque où il y avait moins de friture sur la ligne !
Plaque dans les catacombes…Inscription dans les catacombes…
Encore une coïncidence, mais il s’agît du « regard de Saux »,le long de la ligne de Sceaux ! Il y en avait 27 comme lui, environ un tous les 500 mètres, permettant via un escalier d’accéder à la galerie souterraine. L’ouvrage achevé en 1628 captait plusieurs sources au sud de Paris dans le bassin de récupération de Rungis. Ensuite, l’aqueduc de Médicis conduisait l’eau sur 13 km grâce à une galerie souterraine suivant le relief, jusqu’à la maison du Fontainier dans le jardin de l’Observatoire. Le but était d’approvisionner le château et le jardin de Marie de Médicis, aujourd’hui le palais du Sénat et le jardin du Luxembourg. Il alimentait aussi le lac du parc Montsouris. On raconte que le jour de l’inauguration, le lac artificiel s’est mystérieusement vidé, provoquant le suicide de l’ingénieur responsable de sa construction.
Nous arrivons ensuite dans le parc Montsouris, créé en 1875 sous l’impulsion de l’empereur Napoléon III dans le cadre des grands travaux Haussmanniens. Ce parc occupant une partie des anciennes carrières de Montrouge doit son nom aux nombreux rongeurs qui s’étaient multipliés le long des moulins de la Bièvre. D’une superficie de 15,4 hectares, il complète au sud les espaces verts présents aux quatre points cardinaux de la capitale : les Buttes-Chaumont au nord, le bois de Boulogne à l’ouest et le bois de Vincennes à l’est.
Quelle est cette étrange stèle de 4 mètres de haut érigée au sud du parc Montsouris ? Une mystérieuse inscription y est gravée : « DU REGNE DE …….. LA MIRE DE L’OBSERVATOIRE MDCCCVI ». Il s’agît tout simplement de la mire du sud, érigée en 1806 sous le règne de Napoléon Ier (un opposant acharné gratta son nom à coup de burin). Ce monument situé à l’origine dans les jardins de l’Observatoire de Paris permettait de calculer la position exacte du méridien de Paris. C’est le pendant méridional de la mire du nord, située sur la butte Montmartre, mais cette dernière est inaccessible, car située dans le jardin privé de la résidence du célèbre moulin de la Galette. Le méridien de Paris servait de référence jusqu’à l’adoption du méridien de Greenwich (à Londres) en 1884. Notez que le méridien de Paris ne passe plus dans l’axe de cette stèle depuis qu’on l’a placé dans le parc Montsouris, mais 70 mètres plus à l’ouest, comme dirait le professeur Tournesol.
Pour résumer, Laplace n’est pas le nom d’une ville, mais d’un mathématicien célèbre qui vécut à Arcueil. En revanche, la gare d’Arcueil se trouve sur la commune de Cachan. Quant à la gare de Bagneux (Hauts-de-Seine), elle ne se trouve pas à Bagneux, mais sur le territoire de Cachan, dans un autre département (Val-de-Marne), vous suivez ?
Que fait cette croix blanche posée au bord des rails entre les gares de Bagneux et Bourg-la-Reine ? Après quelques recherches, voici la première piste : le 30 mars 1905, un terrible accident survint à proximité de cet endroit sur la ligne de Sceaux : la locomotive d’un train parti de la gare du Luxembourg à destination de Limours dérailla vers 6h30 du matin. La catastrophe se produisit dans une tranchée en courbe entre Arcueil-Cachan et Bourg-la-Reine. La gare de Bagneux fut construite dans les années 1930 sur les lieux du drame qui fit trois morts. Or la croix se trouve un peu plus loin. Cela aurait pu être une bonne raison, en souvenir de cette tragédie. Mais voici la véritable explication : André Ox, ouvrier d’origine arménienne travaillant à Bagneux, fut tué ici même en 1944 par une patrouille allemande lors d’un accrochage avec les Forces françaises de l’intérieur (FFI). On peut d’ailleurs lire sur la croix l’inscription « André OX – FFI ». Ce mémorial est entretenu par plusieurs conducteurs de la ligne.
La gare de Sceaux se trouvait dans l’aile de l’ancienne ferme du jardin de la Ménagerie, à l’emplacement du potager de la duchesse du Maine. La renommée du Bal de Sceaux, qui accueillait jusqu’à 2 000 danseurs, contribua directement à la création de la ligne éponyme. Le succès est retentissant de 1820 à 1860, immortalisé par Honoré de Balzac dans sa nouvelle, Le Bal de Sceaux, paru en 1830. Victor Hugo y vint à pied en 1820 pour apercevoir Adèle Foucher qu’il épousera deux ans plus tard. Le public qui vient de Paris en calèche, encourage la création d’une ligne de chemin de fer. Leur vœu est exaucé et la ligne de Sceaux voit le jour en 1846.
Malheureusement, en 1891, la gare de Sceaux est déplacée à son emplacement actuel et les Parisiens se détournent du bal au profit des guinguettes de Robinson, sur les hauteurs de l’actuelle gare de Robinson, inaugurée en 1893, nouveau terminus de la ligne de Sceaux. Le nouveau tracé passe désormais par l’actuelle gare de Sceaux et celles de Fontenay-aux-Roses et Robinson. Située sur la commune de Sceaux, aujourd’hui terminus de la branche B2 du RER B, la gare de Robinson se trouve à la limite de Châtenay-Malabry, et à seulement 400 m de Fontenay-aux-Roses et du Plessis-Robinson.
Notre périple ferroviaire s’achève ici, après avoir croisé la vallée de la Bièvre, la Coulée Verte du Sud Parisien, les aqueducs de la Vanne et de Médicis et de nombreux autres édifices classés Monument Historique ! Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de la passionnante exposition sur les origines de la ligne de chemin de fer de Paris-Sceaux, présentée en 2021 à la gare de Robinson.
Le voyage est la passion de ma vie : chaque départ est une aventure, peu importe la destination, et chaque fois que je prends l'avion, c'est comme la première fois.
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12 commentaires sur « La ligne de Sceaux : sur la piste de l’ancêtre du RER B »
Bonjour
Je ne me souviens plus du nom de ce train que me mère empruntait dans les années 1920 c’était le nom que tout le monde lui donnait. Ce n’est pas l’arpajonais ?
Merci
Bravo ! Tous en voiture, et nous partons vers la verdure du Parc de Sceaux ! C’est l’aventure à portée de banlieue, et une visite du patrimoine vers le sud par petites étapes. Encore une belle balade proche de Paris et agrémentée d’une pincée d’humour fort bienvenu.
La ligne B a bien changé depuis les temps héroïques où je voyageais avec mes parents dans les anciens wagons peu confortables et bruyants. Merci pour ce joli reportage.
Merci Nicolas pour ce joli voyage sur la ligne B ! Une réconciliation avec cette ligne 😉 Tu nous fais découvrir les beautés de cette ligne…. après 40 ans de vie à Sceaux. Il était temps d en apprendre d avantage avant de quitter la région Parisienne. Nous allons regarder notre trajet RER attentivement et nul doute .. d un autre œil.
Merci Nicolas pour ce très beau récit ultra documenté.
J’aime ce Paris / Banlieue avec un regard différent. Lors de mes escapades j’aime sortir des sentiers battus. Lors d’un prochain voyage parisien je m’intéresserai à cette ligne qui regorge de pépites architecturales.
La Minute Tourisme > Lors d’un prochain voyage parisien je m’intéresserai à cette ligne qui regorge de pépites architecturales.
Si vous le pouvez, louez des vélos à Paris et descendez jusqu’à Sceaux voire Massy par la Coulée verte, puis remontez à Paris par le RER — vélos autorisés en dehors des heures de pointe en semaine, et toute la journée week-end et jours fériés.
Outre la maison de Charles Peguy à Bourg la Reine elle était aussi celle de l’écrivain Léon Bloy, au 7 rue André Theuriet. Celle-ci fut détruite pour la construction d’un immeuble.
Bonjour, Nicolas,
GRAND BRAVO,
Article intéressant, clair, attirant par sa diversité, et sa richesse surtout les photos à l’appui , superbe et en avance, vraiment ça m’a donné envie de me déplacer pour s’abreuver de la richesse architecturale et historique de cette ligne , en avance, et à bientôt
Beau reportage! Notez aussi, cher Nicolas, qu’il existe aussi une plaque en hommage aux Résistants à l’intérieur du BV de Robinson. Le matériel dessiné par Jacobs dans votre exposé n’est pas du matériel de la ligne de Sceaux: il s’agit d’une rame de matériel dit « Standard » de la banlieue de Saint-Lazare, donc une rame Z 1500. Cette vignette figure avec d’autres consacrées au matériel de la ligne de Sceaux dites « Z », donc des Z 23000, dans l’album « SOS Météores » de Jacobs. Les gares de Robinson et de Fontenay ont inspiré le dessinateur de BD Tito dans son album « Le cadeau ». Quant à l’architecture des gares type BV 2 portes ou 3 portes, elle est typique du PO.
Bonjour
Je ne me souviens plus du nom de ce train que me mère empruntait dans les années 1920 c’était le nom que tout le monde lui donnait. Ce n’est pas l’arpajonais ?
Merci
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Bonjour, l’Arpajonnais était une ligne de tramway qui reliait Arpajon aux halles de Paris, longeant la Nationale 20.
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Bravo ! Tous en voiture, et nous partons vers la verdure du Parc de Sceaux ! C’est l’aventure à portée de banlieue, et une visite du patrimoine vers le sud par petites étapes. Encore une belle balade proche de Paris et agrémentée d’une pincée d’humour fort bienvenu.
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La ligne B a bien changé depuis les temps héroïques où je voyageais avec mes parents dans les anciens wagons peu confortables et bruyants. Merci pour ce joli reportage.
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Merci Nicolas pour ce joli voyage sur la ligne B ! Une réconciliation avec cette ligne 😉 Tu nous fais découvrir les beautés de cette ligne…. après 40 ans de vie à Sceaux. Il était temps d en apprendre d avantage avant de quitter la région Parisienne. Nous allons regarder notre trajet RER attentivement et nul doute .. d un autre œil.
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Superbe expédition sur cette ligne emprunté couramment et la découverte de son histoire est un véritable voyage dans l histoire..
Merci Nicolas !
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Merci Nicolas pour ce très beau récit ultra documenté.
J’aime ce Paris / Banlieue avec un regard différent. Lors de mes escapades j’aime sortir des sentiers battus. Lors d’un prochain voyage parisien je m’intéresserai à cette ligne qui regorge de pépites architecturales.
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La Minute Tourisme > Lors d’un prochain voyage parisien je m’intéresserai à cette ligne qui regorge de pépites architecturales.
Si vous le pouvez, louez des vélos à Paris et descendez jusqu’à Sceaux voire Massy par la Coulée verte, puis remontez à Paris par le RER — vélos autorisés en dehors des heures de pointe en semaine, et toute la journée week-end et jours fériés.
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Outre la maison de Charles Peguy à Bourg la Reine elle était aussi celle de l’écrivain Léon Bloy, au 7 rue André Theuriet. Celle-ci fut détruite pour la construction d’un immeuble.
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Bonjour, Nicolas,
GRAND BRAVO,
Article intéressant, clair, attirant par sa diversité, et sa richesse surtout les photos à l’appui , superbe et en avance, vraiment ça m’a donné envie de me déplacer pour s’abreuver de la richesse architecturale et historique de cette ligne , en avance, et à bientôt
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Beau reportage! Notez aussi, cher Nicolas, qu’il existe aussi une plaque en hommage aux Résistants à l’intérieur du BV de Robinson. Le matériel dessiné par Jacobs dans votre exposé n’est pas du matériel de la ligne de Sceaux: il s’agit d’une rame de matériel dit « Standard » de la banlieue de Saint-Lazare, donc une rame Z 1500. Cette vignette figure avec d’autres consacrées au matériel de la ligne de Sceaux dites « Z », donc des Z 23000, dans l’album « SOS Météores » de Jacobs. Les gares de Robinson et de Fontenay ont inspiré le dessinateur de BD Tito dans son album « Le cadeau ». Quant à l’architecture des gares type BV 2 portes ou 3 portes, elle est typique du PO.
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