L’Aisne, royaume de l’Art Déco, de Saint-Quentin à Chauny

L’Aisne n’est pas le département le plus connu de France… C’est le numéro deux (le numéro un c’est l’Ain). Il porte le nom d’une rivière, comme 66 des 96 départements métropolitains. Peu savent le situer sur une carte et on se demande bien ce qu’on peut y découvrir. Pourtant, cette région jouit d’un exceptionnel patrimoine en terme de châteaux, cathédrales et autres abbayes : c’est le quatrième département de France par le nombre de monuments historiques classés ! Ensuite, l’Aisne monte sur la deuxième marche du podium dans la liste des départements comprenant le plus de voies navigables. L’occasion de partir en canoë (l’âne c’est dans les Cévennes) sur les traces du célèbre écrivain-voyageur écossais Robert Louis Stevenson, qui descendit la rivière de l’Oise en 1876. Une aventure racontée dans son récit En canoë sur les rivières du nord. Mais l’information capitale qui nous concerne ici, c’est que l’Aisne est le département qui a le plus souffert de la Première Guerre Mondiale, détruit à près de 90% : « De tous les départements ravagés par la guerre, l’Aisne est incontestablement celui qui a le plus cruellement souffert », affirme en 1920 le préfet Lucien Saint. Difficile en effet de trouver un endroit du territoire qui ne porte pas les stigmates du grand conflit et les lieux de mémoire font partie du paysage. Cette destruction généralisée aura au moins eu une vertu : l’embellisement de ses villes ! Du néant, l’Aisne et ses villes ont su renaitre de leurs cendres et la région de s’affirmer par l’architecture, car il a bien fallu reconstruire ! On le fit en utilisant l’Art Déco, dont la capitale n’est autre que Saint-Quentin, la plus grande ville de l’Aisne, détruite à 80% durant le premier conflit mondial. Aucune ville ne possède autant d’édifices Art Déco, avec plus de 3 000 dont 300 sont classés aux Monuments Historiques ! J’ai pu me rendre compte sur place de ce patrimoine Art Déco d’exception, de Saint-Quentin à Chauny en passant par le village d’Alaincourt.

© Photo FX. Dessirier / Agence Aisne Tourisme – Le conservatoire national de musique et d’art dramatique de Saint-Quentin. Les trois pignons évoquent l’architecture flamande (la Flandre n’est pas loin). Les figures et motifs géométriques typiques de l’Art Déco sont bien présents, notamment les hexagones qui évoquent les pastilles Vichy (qui sont en réalité octogonales).

L’Art Déco c’est quoi ?

Le mouvement Art Déco est un style typiquement français qui se développe entre 1920 et 1939, durant les Années Folles. A ne pas confondre avec l’Art Nouveau, qui s’épanouit des années 1880 jusqu’en 1914, et qui caractérise la Belle Epoque. Ce dernier se distingue par des formes inspirées de la nature, des courbes et arabesques, et est présent à Paris à travers les entrées des bouches de métro, la Tour Eiffel ou encore le Pont Alexandre III. Cet Art Nouveau ne l’était plus vraiment justement, devenant un peu ancien, bref, démodé… Après la Première Guerre Mondiale, place à l’Art Déco ! A Paris, le Palais de Tokyo et le Grand Rex en sont de parfaits représentants. Signe de modernité, on utilise le béton, mais aussi la brique rouge. On redécouvre aussi la mosaïque, la céramique ou encore le vitrail. Toutes les formes de création sont concernées : architecture bien sûr, mais aussi sculpture, peinture, orfèvrerie, … Son nom est donné en référence à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes, organisée en 1925 à Paris. Le terme « Art Déco » ne fut employé au départ que par un petit milieu d’initiés. Le Corbusier, qui n’appréciait pas ce style, fut l’un des premiers à utiliser l’abréviation “Art Déco” pour faire référence aux Arts Décoratifs. Le grand public préférait parler de « rétro ». Rétrospectivement, c’est à partir des années 1950 que l’on parla d’Art Déco, en référence à la fameuse exposition de 1925 à Paris. L’ Art Déco trouva son plus grand terrain de jeu dans l’Aisne, à Saint-Quentin et Chauny, où tout était à reconstruire après la Grande Guerre. Les édifices déploient leurs motifs géométriques, fleurs stylisées, ferronneries et autres bow-windows. Les rues, places et monuments de ces deux villes constituent un véritable musée du patrimoine à ciel ouvert ! A la campagne, ce sont les petites églises des villages dévastés qui renaissent par l’Art Déco dans des envolées de béton.

©Nicolas Pelé – Gare du Nord à Paris, chaque ville desservie a droit à son panneau explicatif. Ici, Saint-Quentin, trésor Art Déco desservie depuis 1850, fameux pour son Buffet de la Gare.

Notre plongée dans l’univers Art Déco débute à la gare du Nord à Paris, direction Saint Quentin, à 1h40 de TER. Non, on ne parle pas ici de Saint-Quentin-en-Yvelines, terminus du RER C bien connu des Franciliens, mais bien de Saint-Quentin (tout court), plus grande et plus peuplée commune de l’Aisne. Nous sommes dans les Hauts de France, au nord donc, mais cette nouvelle région administrative ne parle pas à grand monde non plus. Historiquement, Saint-Quentin se trouve en Picardie. Sur un axe ouest-est, elle se trouve à mi-chemin entre Amiens et Charleville-Mézières, et sur un axe sud-ouest nord-est, Saint-Quentin se trouve pile-poil entre Paris et Bruxelles.

©Sylvain Prémont – Saint-Quentin vu du ciel avec au premier plan le canal éponyme et au loin la basilique aux dimensions de cathédrale, qui abrite les reliques du saint qui a donné son nom à la ville. Au sommet, on aperçoit par beau temps le clocher de la cathédrale de Laon, distant de 47 km !

Traversée par la Somme et le canal de Saint-Quentin, la ville est l’une des sous-préfectures de l’Aisne, avec Soissons (le vase de Clovis pour ceux qui ont un vague souvenir de cours d’histoire en CM1), Château-Thierry (la ville de Jean de la Fontaine), et Vervins (pas grand-chose de connu à raconter pour cette sous-préfecture…). Et la préfecture ? Bizarrement, ce n’est pas Saint-Quentin, la plus grande ville, mais Laon (on prononce lent), moins connue, qui abrite pourtant l’une des plus belles cathédrales de France. A deux pas de Soissons, c’est à Villers-Cotterêts, ville natale d’Alexandre Dumas, que François 1er signa en 1539 la fameuse ordonnance qui changea le cours de l’Histoire de France, en obligeant l’utilisation de la langue française dans les actes juridiques et administratifs. Bref, il y en a des choses à raconter sur l’Aisne, un département tout en longueur, avec tout de même 155 km du nord au sud. Résultat, il y a deux identités bien distinctes, entre le nord frontalier de la Belgique, à l’influence flamande, notamment autour de Saint-Quentin, et le sud, autour de Château-Thierry, où coule la Marne, entouré de vignobles de Champagne. Nous allons ici nous intéresser à la partie nord, autour de Saint-Quentin et Chauny, et à leur exceptionnel patrimoine Art Déco.

Arrivée à la gare de Saint-Quentin, capitale de l’Art Déco, labellisée ville d’art et d’histoire

© ALLAROUND-TOGETHER – L’arrivée à la gare de Saint-Quentin donne le ton : on plonge d’emblée dans l’univers Art Déco ! Les façades, la toiture ainsi que le Buffet de la Gare sont classés monuments historiques. Difficile à croire, mais la gare de Saint-Quentin est l’un des rares édifices à avoir échappé aux destructions de la Première Guerre Mondiale. C’est un incendie qui la ravagea en 1922, et la gare actuelle date de 1926.
© Luc Couvée-Vile de Saint-Quentin – Superbe marquise Art Déco de la gare au premier plan. On aperçoit au loin les deux tours phares du pont d’Isle, également Art Déco.
©Nicolas Pelé – A la sortie du train, ne pas se fier à ce qu’indique le TER en face du quai : nous sommes en Picardie, mais Saint-Quentin est reliée en train à Lille, la capitale des Hauts de France, la nouvelle région qui regroupe la Picardie et le Nord-Pas de Calais, et que peu de gens identifient. La preuve, les trains ont gardé le logo et le nom de Nord-Pas de Calais !

©Nicolas Pelé – Enseigne du buffet, côté parvis de la gare. Pas besoin d’attendre bien longtemps pour s’immerger dans l’univers Art Déco à Saint-Quentin, une fois descendu du train. Le Buffet de la Gare de Saint-Quentin plonge d’emblée le visiteur dans l’ambiance !
©Nicolas Pelé – Inscrit au titre des Monuments Historiques, le Buffet de la Gare de Saint-Quentin accueille régulièrement des expositions, comme ici Viviane Douek, lors de mon passage en mars 2022. L’exceptionnel comptoir en béton armé est drapé de mosaïques de grès cérame, d’opalines rouges et d’émaux de Venise dorés. Joyau de l’Art Déco saint-quentinois, l’endroit accessible par une porte à tambour abritait encore un restaurant dans les années 1980. Il n’y a plus de cuisine, mais suite à sa restauration en 2017, on peut y prendre un brunch certains dimanches ou déguster un fromage autour d’une bière, sur réservation. On s’imagine alors en 1926, attendant sa correspondance dans ce lieu raffiné !

C’est au maître-verrier et mosaïste français Auguste Labouret que l’on doit le Buffet de la Gare de Saint-Quentin, inauguré en 1926. Un joyau de l’Art Déco avec sa remarquable miroiterie, ébénisterie et ferronnerie. Le comptoir en béton armé et les murs sont entièrement recouverts de mosaïques. L’œuvre d’Auguste Labouret est colossale, citons notamment la cité scolaire Marie-Curie à Sceaux, la décoration du mythique paquebot Le Normandie, les gares de Lyon et Saint-Lazare à Paris, ou encore les Galeries Lafayette et le Bon Marché, toujours dans la capitale.

©Nicolas Pelé – Le viaduc de la gare se remarque de loin avec ses deux tours-lanternes hautes de 25 mètres réalisées en 1929 par l’architecte Paul Bigot, de l’Art Déco à l’état pur ! Ce pont de 230 mètres enjambe le canal de Saint-Quentin, la Somme, la voie ferrée Paris-Bruxelles et la gare. On l’appelle aussi le Pont de la Gare, ou encore le Pont d’Isle. Depuis la mort de l’ancien président de la République, il est question désormais de l’appeller le pont Jacques Chirac…
©Nicolas Pelé – Le canal de Saint-Quentin.
©Nicolas Pelé – Long de 31 mètres et haut de 8 mètres, le Monument aux Morts de Saint Quentin fut inauguré le 31 juillet 1927 sur une colline dominant l’ancien champ de bataille de la ligne Hindenburg. Tout comme le Pont de la Gare, c’est l’oeuvre de l’architecte Paul Bigot, grand prix de Rome.
© Luc Couvée-Ville de Saint-Quentin – Pour la partie sculpture, Paul Bigot fit appel à Henri Bouchard (1875-1960), qui participa à l’exposition des Arts décoratifs de 1925, et Paul Landowski (1875-1961), à qui l’on doit, excusez du peu, le célèbre Christ rédempteur de Rio de Janeiro (1931). Vous remarquerez qu’à un an près, les deux sculpteurs ont la même épitaphe…

©Nicolas Pelé – Que c’est-il passé en 1557 à Saint-Quentin ? La ville subit un terrible siège face aux Espagnols. Vous me direz qu’on est loin de l’Espagne… On oublie souvent qu’au XVIème siècle, l’actuelle Belgique toute proche, le Luxembourg, la majorité de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais et les Pays-Bas étaient espagnoles !
© Luc Couvée-Ville de Saint-Quentin – Le Monument aux Morts s’ouvre sur la réserve naturelle des Marais d’Isle, la seule de France située en centre-ville, et classée zone de protection spéciale. On l’explore entre chenaux et plans d’eau, en bacôves (bateau à fond plat), en canoé, en aviron…

Le Monument aux Morts de Saint-Quentin, tout en granite, offre une belle vue sur la réserve naturelle des Marais d’Isle, située en pleine agglomération ! Il s’agît de l’unique réserve nationale ornithologique située dans un centre-ville, au cœur de Saint-Quentin. Cet ensemble marécageux s’étend sur 48 hectares. Il y a même une plage où l’on peut se baigner durant les beaux jours !

Près de 80% de Saint-Quentin a été détruite durant la Première Guerre Mondiale. La ville étant occupée par les Allemands durant la quasi totalité des hostilités, du 28 août 1914 au 1er octobre 1918, ce sont bien les Alliés (Français et Britanniques) qui sont responsables des destructions. La totalité des habitants a été évacuée en mars 1917, notamment vers la Belgique voisine.
C’est dans les villes qui ont le plus souffert des combats de la Première Guerre Mondiale que l’on trouve le plus important patrimoine Art Déco, le long de la ligne Hindenburg. Ici, les ruines de la basilique de Saint-Quentin le 14 octobre 1918.

A Saint-Quentin, on se promène le nez en l’air pour admirer les mosaïques, bow-windows et verrières Art Déco, que l’on rencontre à chaque coin de rue !

© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – Bow-windows sur deux étages de l’École de musique et théâtre de Saint-Quentin, de style Art Déco.
©Nicolas Pelé – Attention aux faux amis ! Au carrefour des Quatre Vents, cet immeuble n’est pas Art Déco mais de style architecture métallique !
©Nicolas Pelé – L’Art Déco est présent absolument partout à Saint-Quentin, jusqu’aux croisillons métalliques !
©Nicolas Pelé – Ambiance Bienvenue chez les Chtis sur la Grande Place, où le carillon de l’hôtel de ville sonne tous les quarts d’heure !
©Nicolas Pelé – La majestueuse entrée de l’hôtel de ville de Saint-Quentin.
© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – Qu’elle est belle la salle du conseil de l’hôtel de ville de Saint-Quentin, on a vraiment envie d’y siéger ! Une merveille restée dans son jus de 1925. L’ensemble est éclairé par des luminaires en fer forgé. 37 conseillers municipaux ont le privilège de fréquenter cette salle, autant que le nombre de cloches du carillon, détruit en 1917 et reconstruit en 1924 ! Chaque conseiller représente donc une cloche, mais à priori, ils le prennent plutôt bien !

Réalisée en 1925 dans le plus pur style Art Déco, la salle du conseil municipal, classée aux monuments historiques, demeure figée dans cette époque, un siècle plus tard. Le plafond en châtaignier conserve sa forme de carène de bateau renversée, et les murs sont garnis de boiseries précieuses en chêne de Hongrie et en palissandre. Chacun des quarante et un panneaux sont ornés d’un cartouche représentant un métier, dont le carillonneur.

©Nicolas Pelé – Chaque panneau de bois représente un métier de la ville. Ici le métier de carillonneur.
©Nicolas Pelé – Ici, en rapport avec la navigation sur la Somme et le canal de Saint-Quentin.
©Nicolas Pelé – Les métiers liés aux travaux des champs.
©Nicolas Pelé – Une belle Marianne Art Déco entourée de notre devise veille depuis 1925 sur le conseil municipal de Saint-Quentin.
©Nicolas Pelé – Ils sont sympas les sièges en bois du conseil municipal, avec les armoiries de la ville ! On reconnait au centre Saint-Quentin martyrisé, entouré de l’épée et de la clé de la ville.
© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – La salle des mariages de style Renaissance est somptueuse avec son plafond en forme de coque de bateau renversée et sa cheminée monumentale, digne d’un château royal !
© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – Le Carillon écrit en Art Déco sur la façade de l’ancien cinéma Le Carillon, édifiée en 1921 et remaniée en 1931.

©Nicolas Pelé – La brasserie Le Carillon est une institution en centre-ville depuis 1900.
© Office de Tourisme et des Congrès du Saint-Quentinois – Inauguré le 29 juin 1929, le Casino est à la fois salle de cinéma et de Music-Hall et fait parfois office de salle des fêtes. La façade est ornée de deux gigantesques têtes de carnaval, familièrement surnommées par les Saint-Quentinois : « Jean qui rit » et « Jean qui pleure ».
© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – Cathédrale du commerce, les anciennes Nouvelles Galeries, surnommées le Palais de l’Art Déco, abritent désormais un Monoprix.

Détruit durant la Grande Guerre, le « Grand Bazar Delherme » était une institution depuis 1876. Ce grand magasin fut reconstruit en 1927 pour accueillir « Les Nouvelles Galeries, joyau Art Déco qui a conservé sa structure en béton et son décor en stuc peint. Ce bâtiment demeure l’un des plus beaux Palais du patrimoine Art Déco français, avec ses garde-corps et rampes d’escaliers en fer forgé aux motifs de volutes et de paniers stylisés, le tout sublimé par les deux « phares du commerce » coiffant l’édifice. L’endroit fut également un lieu de loisirs, abritant des galas de catch, boxe, bals, compétitions de patins à roulettes…, accueillant des vedettes comme Edith Piaf et Marcel Cerdan. C’est aujourd’hui un Monoprix…

©Nicolas Pelé – Au dernier étage, on se croirait aux Galeries Lafayette ou au Printemps Haussmann ! Malheureusement, la grande verrière a disparu.
©Nicolas Pelé – Maquette du grand magasin à l’époque des « Nouvelles Galeries », dans les années 1930.
© Sylvain Cambon / Agence Aisne Tourisme – La poste et son édifice en briques, dans le plus pur style Art Déco.
©Nicolas Pelé – Pause déjeuner dans l’ambiance Art Déco du restaurant Villa d’Isle à Saint-Quentin. Il est temps ensuite de quitter Saint-Quentin, direction Alaincourt puis Chauny.

Après avoir vu toutes ces photos, on ne sera pas surpris d’apprendre que le célèbre guide australien Lonely Planet intègre Saint-Quentin parmi sa liste des plus belles villes de France !

La Maison de Marie-Jeanne à Alaincourt

La Maison de Marie Jeanne est un musée communal qui étonne pas sa taille et sa richesse pour un si petit village ! Marie Jeanne est tout simplement le nom de celle qui a créé ce musée, où sont exposés un siècle d’objets autour de la mode et de l’enfance, une véritable machine à remonter le temps ! Une salle est consacrée à l’influence de l’Art Déco dans la mode et ses accessoires (chapeaux, poudriers, peignes, robes…).

©Nicolas Pelé – Jusqu’à la fin des années 1950, sortir sans chapeau constitue une faute de goût, y compris pour les hommes.

Tout comme Saint-Quentin, la plupart des villes et villages de l’Aisne ont été ravagés par la Grande Guerre. Le village d’Alaincourt où se trouve la Maison de Marie-Jeanne n’échappe pas à la règle, et a lui aussi bénéficié d’une architecture Art Déco durant la reconstruction. Les trois quarts des maisons datent des années 1920 à 1930 et sont en style Art Déco. Cela peut être une porte ou encore la grille d’un balcon.

©Nicolas Pelé – La période Art Déco est directement liée à la garçonne, terme désignant l’émancipation de la femme dans les années 1920. C’est l’époque des Années Folles, de la couturière Coco Chanel, de la chanteuse Joséphine Baker, de la championne de tennis Suzanne Lenglen ou encore de l’actrice Arletty.
©Nicolas Pelé – Jusqu’au 4 septembre 2022, la Maison de Marie Jeanne accueille l’exposition « Les Jouets du Papa de Papy ».

Lors de la visite de ce passionnant musée, on apprend notamment que le célèbre écrivain écossais Robert Louis Stevenson est passé par ici lors de son voyage sur les rivières et canaux du nord de la France en 1876. Un périple de 18 jours d’Anvers à Conflans-Sainte-Honorine traversant notamment les superbes paysages de l’Aisne et la vallée de l’Oise. Il en a tiré son premier récit, An Inland Voyage (Voyage en canoë sur les rivières du Nord) paru en 1878.

© Benjamin Teissèdre / Agence Aisne Tourisme – Située dans le village d’Alaincourt entre Saint-Quentin et Chauny, la Maison de Marie-Jeanne propose une superbe collection d’objets Art Déco. Ici, une réplique du canoë sur lequel navigua le célèbre romancier Robert Louis Stevenson, à qui l’on doit notamment L’île au Trésor et L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. On connait généralement son Voyage avec un âne dans les Cévennes, mais moins son premier récit, Voyage en canoë sur les rivières du Nord ! Et si vous partiez sur ses traces ? Bordée d’aulnes et de saules, l’Oise est une rivière encore sauvage et parfois tumultueuse, réservant quelques rapides sans danger mais qui sauront vous surprendre. A vos pagaies !

Chauny, première ville de France à disposer d’un plan d’urbanisme

Quittons la Maison de Marie-Jeanne à Alaincourt, direction Chauny, à 30 km au sud de Saint Quentin. Nous sommes au cœur de la Picardie, à égale distance de Soissons (34 km), Laon (36 km) et Saint-Quentin (31 km). Traversée par l’Oise et le canal de Saint-Quentin, Chauny, qui était une ville prospère, fut totalement dynamitée par les Allemands en février 1917, lorsqu’ils se retirèrent derrière la ligne Hindenburg, qui passait par Saint-Quentin. La ville est un tas de ruine lors de sa libération. Tous les monuments sont donc postérieurs à la Première Guerre mondiale, et l’Art Déco y prend une place de choix, que ce soit sur les façades ou à l’intérieur des bâtiments : poste, hôtel de ville, gare, banques, magasins, églises, salle des fête, halle au marché et même certaines boulangeries pâtisseries ! Chauny est ainsi la première ville de France à disposer d’un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension, jouissant d’un patrimoine exceptionnel ! Des artistes ayant participé à la fameuse Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Paris en 1925 déploient leur talent à Chauny, léguant le patrimoine unique qui fait la réputation de la ville de nos jours. A moins de 10 km se trouve la fameuse manufacture royale de Saint-Gobain, d’où sont sortis les miroirs de la Galerie des Glaces du château de Versailles.

Ruines de l’hôtel de ville et du palais de Justice de Chauny en août 1917. Les Allemands dynamitèrent la ville maison par maison, toutes les églises, l’hôtel de ville et tous les édifices. La ville comptait 12 000 habitants en 1914, 250 en 1918 et de nouveau 12 000 aujourd’hui. Pour la reconstruction, Chauny bénéficia du premier plan d’urbanisme de France, auquel elle doit son patrimoine Art Déco unique.
© Guillaume Astier – Achevé en 1930, l’hôtel de ville de Chauny dispose d’une façade classique, mais les trois splendides portes
d’entrée réalisées par le maître ferronnier Edgar Brandt sont bel et bien Art Déco. Dès le hall d’entrée franchi, l’Art Déco se déploie partout, une merveille ! On pense notamment aux mosaïques au sol, à la stylisation des motifs, aux remarquables rampes d’escalier, aux dorures et bien sûr aux salles du Conseil Municipal et des mariages. Les plafonds sont à caissons avec des lustres de perles.
©Nicolas Pelé – Entrée de l’hôtel de ville de Chauny, dont l’intérieur constitue un véritable écrin Art Déco !
©Nicolas Pelé – Splendides escaliers menant à l’étage.
©Nicolas Pelé – Bureau du maire dans l’hôtel de ville de Chauny.
©Nicolas Pelé – Dans son roman Gargantua, François Rabelais fait allusion à la foire et aux dresseurs de singes de Chauny. C’est ainsi que les singes sont devenus l’un des emblèmes de Chauny, que l’on retrouve sur différents blasons. La ville est parfois appelée : « Chauny-les-Singes ».
©Nicolas Pelé – Terminée en 1937, la salle des fêtes de Chauny est remarquable car elle symbolise la période de transition menant de l’Art
Déco à une architecture moderne. Ancienne halle au blé puis bibliothèque municipale, l’édifice intègre des concepts novateurs comme le toit plat, le hall de verre, et l’étirement en longueur des briques sur la façade, tout en conservant des éléments Art Déco, comme les colonnes antiques de la porte d’entrée et les ferronneries des portes qui évoquent les gratte-ciel américains.
©Nicolas Pelé – Une maison bourgeoise d’un grand commerçant à Chauny : balcon en loggia, pergola, ferronnerie, bow-window, colonnes, sculpture en corbeille de fruits, on retrouve tous les éléments Art Déco ! Un tunnel reliait la maison au magasin situé plus loin en centre-ville…
© comdesimages – Le marché couvert de Chauny.
©Nicolas Pelé – Reconstruite à l’emplacement de l’ancien édifice dynamité en 1917, l’église Saint-Martin de Chauny fait partie de l’exceptionnel patrimoine Art Déco de la ville.
©Nicolas Pelé – Fresque et vitraux Art Déco dans l’église Notre Dame à Chauny, édifiée en 1929. La fresque d’inspiration byzantine représente la Cène. Une œuvre du maître verrier Louis Mazetier.
©Nicolas Pelé – Vitraux Art Déco dans l’église Notre Dame à Chauny. Ces trois vitraux magnifiquement conservés
symbolisent l’Assomption.
©Nicolas Pelé – Gare Art Déco de Chauny, après la gare Art Déco de Saint-Quentin : la boucle Art Déco dans l’Aisne est bouclée !

Publié par Nicolas Pelé

Le voyage est la passion de ma vie : chaque départ est une aventure, peu importe la destination, et chaque fois que je prends l'avion, c'est comme la première fois.

4 commentaires sur « L’Aisne, royaume de l’Art Déco, de Saint-Quentin à Chauny »

  1. Magnifique, voyage dans le temps, vraiment plein de trésors et de richesse historique, très clair et bien expliqué, à un point de nous inciter à faire une petite excursion dans les trésors cachés de la France, MERCI Nicolas,
    Tellement bien clair et bien expliqué ⛪🐎✨

    Aimé par 1 personne

  2. Comme toujours, un très bon sujet, riche d’informations, dense mais clair. En un mot, pédagogique.

    C’est bon de voir à quel point notre patrimoine est riche, intriqué d’une histoire qu’on a tendance à oublier ou alors qu’on ne connait pas du tout. Bravo Nicolas !
    On voit aussi, grâce à la richesse iconographique de ce sujet, la passerelle parfois entre Art Nouveau (floral) et Art Déco, plus géométrique. Par exemple, les vitraux Art Déco de l’église Notre-Dame à Chauny ne sont pas sans évoquer ceux de la cathédrale St-Guy de Prague, par Alphons Mucha, chantre de l’Art Nouveau, qui a travaillé à Paris. Est-ce que je dis une bêtise ?

    Ca fait plaisir aussi de lire un article que ne soit pas bardé de pubs !

    On attend votre prochain sujet, Voyageur Nicolas !

    Aimé par 1 personne

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