Que cache cet ancien château en ruine perdu quelque part entre Compiègne et Soissons, à quelques kilomètres des lignes du front de la Première Guerre Mondiale ? Un passionnant musée d’histoire et d’art consacré à l’amitié franco-américaine, que l’on doit à l’américaine Anne Morgan, pionnière de l’humanitaire. Cette militante féministe joua un rôle essentiel dans la reconstruction de la France en lambeaux au lendemain de la Grande Guerre. A la tête d’un réseau de femmes américaines francophiles, elle fonda le CARD (Comité américain pour les régions dévastées), pour venir en aide aux civils dans cette région ravagée par quatre ans de conflit. Au volant de leur Ford T, les volontaires du CARD sillonnèrent la Picardie de 1917 à 1924, donnant des cours, distribuant de la nourriture, soignant les malades et les blessés… Visite guidée du château de Blérancourt, où cette amoureuse de la France établit son quartier général.

On connait de triste réputation le Chemin des Dames, dans l’Aisne, théâtre de l’une des plus meurtrières batailles de l’Histoire. Près de 200 000 Français (et autant d’Allemands) périrent dans les combats d’avril à juin 1917. Un autre chemin des dames fut emprunté dans ce même département, par des centaines de femmes américaines menées par Anne Morgan. Au volant de leur Ford T, elles sillonnèrent le territoire ravagé de l’Aisne à la rencontre d’une population qui n’avait plus rien après quatre années de guerre. C’est l’histoire trop méconnue de ces héroïnes que l’on pourra découvrir dans le passionnant musée consacré à l’amitié franco-américaine, qui prend ses quartiers dans le château de Blérancourt.

Niché dans la splendide campagne de l’Aisne (l’Oise est à moins de 2 km), entre Compiègne et Soissons, le Château de Blérancourt fut construit entre 1612 et 1619 par Salomon de Brosse, l’architecte de la reine Marie de Médicis. On lui doit notamment le palais du Luxembourg (qui abrite le Sénat) et la salle des Pas-Perdus du Palais de Justice de l’Ile de la Cité à Paris. Et pour qui édifia-t-il ce château ? Louis Potier de Gesvres, seigneur de Bourg-la-Reine, du Plessis-Picquet (actuel Plessis-Robinson), et de Sceaux. C’est justement à Sceaux que Louis Potier de Gesvres, qui fut au service des rois Henri III, Henri IV et Louis XIII, se fit construire en 1597 une grande maison de campagne qui fut rachetée par Colbert en 1670. Ce manoir est tout simplement à l’origine du célèbre château et du parc de Sceaux !

Superbement restaurés, les vestiges de ce château du XVIIème siècle abritent l’unique musée franco-américain (il n’y en a pas d’autre), fondé en 1924 par Anne Morgan. Ce nom vous dit peut-être quelque-chose ? C’est la fille du célèbre et richissime banquier américain J.P. Morgan (John Pierpont Morgan), propriétaire entre autres du Titanic. Il fut sauvé du naufrage en préférant in extremis retrouver sa maitresse en cure à Aix-les-Bains… La famille Morgan symbolise l’amitié franco-américaine : Le grand-père aida déjà la France grâce à « l’emprunt Morgan » après la guerre franco-prussienne de 1870. Anne Morgan s’illustre à son tour en traversant l’Atlantique dès le début de la Première Guerre mondiale.

En mars 1918, c’est au château de Blérancourt, situé à quelques kilomètres des lignes de front, qu’Anne Morgan installe le quartier général de son organisation humanitaire consacrée à la reconstruction de la région : Le Comité Américain pour les Régions Dévastées (CARD). Aidée de 350 jeunes filles issues des grandes familles américaines venues bénévolement du Nouveau Monde, elle quadrille sans relâche pendant sept ans la Picardie à bord de camionnettes Ford T. Leur mission ? Secourir, soigner, distribuer du ravitaillement à une population qui n’a plus rien. Leur rôle consiste également à reconstituer du tissu social en agissant dans le domaine de la santé bien sûr, mais aussi de l’éducation et des loisirs. De 1917 à 1924, elles seront totalement au service de la France dévastée. Les Allemands qui occupèrent l’Aisne pendant les quatre années de la guerre ont pratiqué la politique de la terre brûlée : puits empoisonnés, sources polluées, fermes et machines agricoles détruites, arbres fruitiers arrachés, terre inutilisable. Il n’y avait plus aucun animal (cheval, cochon…), il fallait faire venir les vaches de Normandie ! Poules, lapins et chèvres sont acheminées de toutes les régions de France. Ajoutez à cela la grippe espagnole (400 000 morts rien qu’en France d’avril 1918 à mai 1919), le tableau est terrible !

En 1919, Anne Morgan achète ce château en ruine, dont ne sont plus visibles que la terrasse, les deux pavillons et le portail monumentale. Après la guerre, la fondatrice du CARD a naturellement choisi ce lieu symbolique pour fonder en 1924 ce musée d’histoire et d’art qui rend hommage aux relations entre la France et les Etats-Unis depuis le XVIème siècle. Au cours d’une cérémonie solennelle en présence du maréchal Pétain (qui lui décerna la Légion d’honneur), l’ensemble, classé monument historique, est inauguré le 24 juillet 1924, et devient musée national en 1930.

Le château de Blérancourt a été fermé au public pendant dix ans afin d’y créer une nouvelle extension et effectuer des fouilles, qui ont permis de découvrir une occupation médiévale du site. Le musée, magnifiquement restauré, a rouvert ses portes en juillet 2017. Les deux ailes, autrefois séparées, sont désormais réunies par un vaste hall vitré et des salles en sous-sol, intégrant les vestiges archéologiques découverts lors des fouilles.

Cette nouvelle extension permet de déployer les collections permanentes autour de trois grandes thématiques. Dans l’aile gauche du château, les Idéaux des Lumières, à l’origine des premières alliances entre les deux nations. Au cœur du château et dans ses sous-sols, les Epreuves pendant lesquelles la France et les Etats-Unis ont combattu côte à côte (les deux guerres mondiales). Enfin, dans l’aile droite du château, voici les Arts, notamment de nombreuses peintures d’artistes américains ou français ayant vécu aux États-Unis, des œuvres inédites comme ce fascinant tableau représentant la rue de Broadway en 1855.
Les Idéaux
Les idéaux communs de liberté et de démocratie, nés au XVIIIème siècle de la philosophie des Lumières, sont les fondements de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis (4 juillet 1776), mais aussi de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen adoptée par la Révolution française le 26 août 1789. On constatera tout de même qu’au début du XIXème siècle, l’égalité entre les citoyens, des deux côtés de l’Atlantique, reste théorique : les Amérindiens, les esclaves et les femmes sont les grands oubliés de ces révolutions.

Ce modèle de la colossale statue offerte par la France aux Etats-Unis à l’occasion du centenaire de l’indépendance est une allégorie de la Liberté. Haute de cinquante deux centimètres, elle porte le flambeau, symbole des idées des Lumières rayonnant sur le monde après les deux révolutions (française et américaine), ainsi qu’une tablette portant la date du 4 juillet 1776. On peut lire gravé sur le socle en marbre : « Souvenir à Monsieur le commandant de Saune qui a transporté en Amérique, au nom de la France, la statue colossale de la LIBERTE (1885) ». Signé Bartholdi.
La première salle rend hommage aux Pères fondateurs des États-Unis, notamment Benjamin Franklin, George Washington et Thomas Jefferson, ainsi qu’au marquis de La Fayette, « le héros des deux mondes ».








A la fin du XVIIIème siècle, la France soutient la lutte des colons américains pour l’indépendance. Nommé général à l’âge de 19 ans par George Washington, La Fayette joua un rôle décisif dans la guerre d’indépendance des États-Unis contre la Grande-Bretagne. En retour, des milliers de volontaires américains apportent leur aide aux Français, bien avant l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917. Ils débarquent au cri de « La Fayette we are here » (La Fayette nous voilà), sous les ordres du général Pershing (le seul général, avec George Washington, à avoir obtenu le grade de General of the Armies). Le général en chef du corps expéditionnaire américain se recueillit sur la tombe du héros de la guerre d’indépendance américaine au cimetière de Picpus à Paris, le 4 juillet 1917, jour de la fête de l’Indépendance.


On connait le western spaghetti (les films de l’Italien Sergio Leone), le western américain (les films de John Ford avec John Wayne), mais saviez-vous que les premiers westerns étaient français ? On parle de western camembert, dès 1910, sous l’impulsion de l’acteur-réalisateur français Jean Hamman (il préfère qu’on l’appelle Joë, ça fait plus américain…). Ces films muets furent tournés en Camargue entre 1911 et 1914. Né en 1883 dans une famille bourgeoise, il accompagne son père en voyage d’affaires aux Etats-Unis en 1904 et rencontre les derniers guerriers Sioux. Il découvre les Wild West Shows du fameux Buffalo Bill, avec qui il se lie d’amitié lors de son passage à Paris en 1905. Contrairement aux westerns américains qui montrent les « cruels indiens scalper les gentils blancs », Joë Hamman défend les Amérindiens et leur culture en voie de disparition.

Les Epreuves
C’est en raison du soutien français à la guerre d’Indépendance américaine à la fin du XVIIIème siècle, à travers les figures de La Fayette et de Rochambeau, qu’en retour des milliers de volontaires américains apportent leur aide à la France au cours des deux guerres mondiales.


De jeunes infirmières diplômées parcourent la région et effectuent des visites dans les villages, récoltant des informations sur l’état de santé et les conditions de vie des habitants afin de leur venir en aide. Elles sont accompagnées de « chauffeuses », de jeunes volontaires américaines ayant le permis de conduire et capables de réparer les véhicules Ford du CARD. En 1917, des femmes ayant le permis de conduire et capable de réparer leur véhicule, ça ne court pas les rues en France ! De plus, il faut bien avoir à l’esprit qu’il n’y a plus de route, pont ni chemin de fer, tout est détruit ! Ces femmes remarquables traversent des zones truffées d’obus non explosées et de cadavres humains et d’animaux, à bord de ces véhicules tout terrain pour soulager une population qui manque de tout.
Les infirmières américaines apportent à la France la méthode de Florence Nightingale, pionnière britannique qui inventa le métier d’infirmière lors de la guerre de Crimée (1854-1856). Ce sont les dames du CARD qui sont à l’origine du concept de bibliothèques municipales en France, publiques et gratuites pour tous ! Auparavant, elles étaient réservées aux chercheurs. La bibliothèque était un lieu chauffé, gratuit, ouvert à tous, où les enfants se pressaient notamment à l’heure du conte. C’est encore les femmes du CARD qui forment les premières bibliothécaires françaises, fonction autrefois réservée aux chartes, qui méprisaient ces femmes faisant la lecture gratuite à la population.

Bref, on aurait pu surnommer Blérancourt le château des Dames, mais ce surnom est déjà pris par le château de Chenonceau, édifié par Katherine Briçonnet, embelli par Diane de Poitiers, protégé par Catherine de Médicis et Gabrielle d’Estrées, duchesse d’Etampes et maitresse de Henri IV, restauré par Louise de Lorraine et sauvé pendant la Révolution française par Louise Dupin, avant d’être restauré de nouveau par Marguerite Pelouze. Mais ça, c’est une autre histoire !



Le colonel Abraham Piatt Andrew crée en 1915 l’American Field Service (AFS), un service d’ambulances, rattaché aux autorités militaires françaises, qui assure la liaison entre les lignes de front et les hôpitaux, en particulier l’hôpital américain de Neuilly. Créé en 1906 par un groupe de riches Américains résidant en France, notamment la famille Morgan, c’est le plus grand hôpital militaire durant la Grande Guerre, passant de 24 lits en 1914 à 2 000 lits au plus fort du conflit. C’est grâce à des dons américains que les ambulances Ford T sont achetées et expédiées en France. Les chauffeurs sont des volontaires, recrutés dans les grandes universités outre-Atlantique, qui souhaitent apporter leur soutien aux alliés alors que leur pays prône la neutralité (jusqu’en 1917).

LES ARTS
De nombreux artistes américains choisissent de venir étudier en France au cours du XIXème et au début du XXème siècle. De véritables colonies artistiques se développent en Normandie et en Bretagne et les artistes américains adoptent le langage artistique en vogue dans leur pays d’adoption. En retour, des artistes français découvrent en Amérique le gigantisme des villes et les paysages grandioses des plaines de l’Ouest ou des chutes du Niagara. On pourra notamment admirer un splendide tableau de ces chutes peint par le Français Léon Reni-Mel.



On pourra prolonger la visite dans les Jardins du Nouveau Monde, occupant les anciens espaces du potager, ainsi qu’à l’arboretum, qui rassemble une collection remarquable d’espèces américaines choisies pour leurs couleurs automnales : érable, chêne, liquidambar (et non pas du liquide en barre), magnolia de Virginie…


Château-Thierry et le Bois de Belleau
Pour prolonger sur la thématique de l’amitié franco-américaine, allons trinquer à Château-Thierry, ville natale de Jean de La Fontaine, à une heure de route au sud de Blérancourt. Nous sommes toujours dans l’Aisne, mais l’influence flamande laisse ici la place à la Route Touristique du Champagne, classée au patrimoine de l’UNESCO. Les vignobles et coteaux du sud de l’Aisne représentent 10% de l’appellation Champagne.
Cette adorable petite ville nichée au cœur du vignoble de Champagne vous séduira assurément avec ses portes médiévales, ses murailles et son château (il y a bien sûr un château à Château-Thierry !). Pour couronner le tout, elle est traversée par la Marne, pleine de charme avec ses cygnes et ses péniches. A 15 minutes de la ville, le Bois de Belleau fut le théâtre d’une grande bataille en 1918 durant laquelle les Américains ont sauvé Paris. Ne manquez pas la promenade dans ses bois couverts de cratères d’obus et autres vestiges des combats !



A 15 minutes de Château-Thierry, le bois de Belleau, sur la ligne de front de la Bataille de la Marne en juin 1918, accueille un impressionnant cimetière américain, dominé par une superbe chapelle érigée au-dessus des anciennes tranchées. Que s’est-il passé ici ? L’une des batailles les plus importantes de l’armée américaine, qui subit le plus lourd tribu de son histoire avant la Seconde Guerre Mondiale. La bataille du bois Belleau est encore considérée aujourd’hui comme le premier engagement majeur et l’événement fondateur de la réputation des Marines. D’ailleurs, ces derniers envoient chaque année une délégation lors de la célébration du 4 juillet, jour de la fête nationale américaine, mais aussi à l’occasion du Memorial Day, célébré chaque année le dernier lundi du mois de mai. Ce jour du souvenir américain rend hommage aux membres des forces armées des États-Unis, morts au combat, toutes guerres confondues.

La bataille se déroula dans le bois situé au sud-ouest de Belleau, à proximité de la Marne, entre le 1er et le 26 juin 1918, face aux forces allemandes retranchées dans le secteur de Château-Thierry. La 4e brigade américaine a perdu dans ces combats près de 60% de ses effectifs. En souvenir de ces hauts faits, un porte-avions américain prendra, en pleine guerre du Pacifique en 1942, le nom de USS Belleau Wood. De 1953 à 1960, sous pavillon français, il sera le porte-avions Bois Belleau. De 1978 à 2005, le nom de USS Belleau Wood a été à nouveau donné à un navire de guerre américain, un porte-hélicoptères d’assaut affecté à la flotte du Pacifique.






« Belleau Wood » fut l’une des plus terribles batailles de toute l’histoire de l’armée américaine avec plus de 8 000 morts en juin 1918. Un sacrifice qui permit de stopper l’offensive allemande vers Paris et donna naissance au mythe des Marines américain. Ce fut la première bataille décisive menée par l’armée américaine lors du conflit, et elle a forgé le mythe du courage et de la ténacité du corps des Marines. Crée en 1798, c’est à l’origine un corps de fusiliers marins, mais qui en 1918 n’a plus grand chose à voir avec son rôle initial. Le mythe est né et va vite se propager. Ainsi, à un Marine blessé, une dame patronnesse française demande : « vous devez être américain ? » Et l’autre de répondre : « non madame, je suis un Marine ».

À la mitrailleuse ou au corps à corps, les Marines ont réussi à stopper l’avance allemande. Ils y ont gagné alors le surnom de « Devil Dogs » (les chiens du diable). C’est à l’occasion de cette bataille que les Marines se choisirent leur mascotte, un bouledogue, d’après le qualificatif donné par les Allemands : teufel-hunden (chiens sauvages). Les forces américaines démontrent ainsi leur valeur et font naître chez les Alliés l’espoir de la victoire.

Dans ce bois où un sentiment de recueillement vous envahit, les arbres sont sacrés. Les plus anciens et plus meurtris, sont appelés « vétérans », comme si, à l’image des soldats, ils avaient eux aussi combattu. Lorsque l’un d’entre eux meurt, il est enterré, son bois, trop chargé en fer, étant devenu irrécupérable.















On dort où ?

Best Western Hotel Ile de France
Malgré son nom, cet hôtel ne se trouve pas en Ile-de-France, mais dans les Hauts-de-France, dans le département de l’Aisne, dans l’ancienne Picardie. Jusqu’à la Révolution, l’endroit faisait partie de l’Ile de France historique, plus étendue que l’actuelle région francilienne, donc le nom de l’établissement n’est pas si saugrenu ! Pour mettre tout le monde d’accord, historiquement et géographiquement, Château-Thierry, traversée par la Marne, appartient à la Champagne. L’établissement est en retrait de la ville, en lisière des champs, sur les hauteurs, bénéficiant de belles vues panoramiques !
Bonjour, encore une fois Nicolas tu nous donne très envie de lire et comprendre ce qui ‘est passé pendant les années arides, difficiles et l’atrocité de la guerre, fort heureusement c’est derrière nous maintenant, en espérant que ça va être une belle leçon pour que ça ne recommencera plus, et plus jamais ça, affreux mais heureusement il y a eu toujours des peuples solidaires, voir et des raisonnables personnes pour dire stop arrêtez, GRAND MERCI encore, à bientôt
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